Publications

meja - L’agilité dans le secteur public : au-delà de l’oxymore
Retour

L’agilité dans le secteur public : au-delà de l’oxymore

La méthode Agile est une méthode de gestion projet dont l’utilisation est croissante depuis ces dernières années dans le développement de solutions logicielles. Si cette affirmation est surtout vraie pour le secteur privé, elle ne l’est pas pour autant dans le secteur public. Quelles en sont les raisons ? Quels sont les obstacles propres au secteur public ? Quels sont les leviers d’un passage à l’agilité réussi pour les structures publiques ? Cet article vous permettra de trouver des réponses à ces interrogations.

Qu’est ce que l’agile ?

Aujourd’hui, la gestion de projet est souvent devenue synonyme d’agilité. Il s’agit d’une approche itérative pour livrer un projet tout au long de son cycle de vie. La méthode agile se compose de plusieurs itérations incrémentielles vers l’achèvement du projet. Ces dernières sont fréquemment utilisées dans les projets de développement de logiciels et tendent à ajuster au fur et à mesure les résultats obtenus tout au long du processus plutôt qu’à la fin. Il existe plus de 20 méthodologies agiles différentes : Scrum, Lean management, etc. Depuis quelques années, plusieurs entreprises du secteur privé ont orienté la gestion de leurs projets vers les méthodologies agiles. Cette agilité consiste à mettre en place un assemblage optimal de ressources humaines, technologiques et organisationnelles afin de répondre aux contextes concurrentiels de plus en plus acharnés ainsi que de rationaliser les projets et créer le maximum de valeur ajoutée sur leurs investissements.

Le modèle bureaucratique face à une société en mouvement

Contrairement au secteur privé, qui est par nature un tremplin de la méthode agile, la majorité des administrations publiques (éducation, santé, justice, etc.) sont quant à elles, basées sur le modèle bureaucratique. Elles sont organisées par fonction et dotées d’une forte division du travail. Elles sont également caractérisées par des canaux de communication et hiérarchies peu souples.

L’ensemble de ces caractéristiques, propres au secteur public, s’éloignent intrinsèquement du modèle agile et posent plusieurs contraintes qui peuvent parfois impacter l’efficacité du service public.

Cependant, dans un contexte de plus en plus volatile et incertain, notamment la crise sanitaire que nous vivons actuellement, la transformation numérique qui gagne du terrain et les différents enjeux socio-économiques qui nous entourent, les méthodes classiques de gestion de projet tendent à perdre en efficacité. D’où une certaine nécessité à tendre vers les méthodes agiles pour s’adapter à ce contexte particulier et réussir à suivre la cadence.

Le but de notre analyse n’est pas de mettre systématiquement en contraste les caractéristiques de l’agilité avec celles du modèle dit « bureaucratique », mais de s’interroger sur la pertinence de se diriger vers cette méthode en tant qu’organisme public, administration ou collectivité. Car bien que les méthodes agiles aient fait leurs preuves de manière générale, tous contextes organisationnels ne sont pas nécessairement adaptés à cette méthode. Fonctionner en mode agile n’est pas une fin en soi.

Nous analyserons à travers le présent article les enjeux du « business model » bureaucratique actuel du secteur public, ensuite nous présenterons les différents freins et leviers de l’adoption du mode agile à travers des retours d’expérience recueillis par nos consultants auprès de nos clients.

Secteur public et bureaucratie : constats et défis

Les institutions du secteur public peuvent parfois manquer de vitesse et d’agilité pour suivre le rythme d’un monde qui évolue rapidement. Les dirigeants du secteur public se sentent aujourd’hui obligés de faire plus avec moins de ressources, de s’attaquer à un éventail de problèmes complexes et en constante expansion, et de les résoudre plus rapidement que jamais. L’information peut avoir du mal à circuler de manière fluide, et les budgets alloués sont de plus en plus serrés. Aucun leader, quel que soit son niveau ou ses capacités, ne peut orchestrer à lui seul la mise en œuvre de solutions. Parallèlement, les collaborateurs et les agents voient leurs besoins évoluer et trouvent souvent du mal à décliner les grandes lignes stratégiques en actions tangibles et opérationnelles.

S’il est vrai que le concept d’agilité est immédiatement associé aux entités privées dans l’esprit général, nous avons pourtant observé que les organisation du secteur public peuvent effectivement être agiles, sans s’en rendre compte, notamment en temps de crise. Les instructions au moment de la crise deviennent plus claires, les collaborateurs se dotent d’une plus grande autonomie et d’une plus grande force de proposition, permettant ainsi de tolérer plus efficacement les erreurs et de remplacer momentanément l’aversion culturelle à la prise de risque, qui caractérise habituellement les organisations du secteur public.

Le schéma ci-dessous représente les différents comportements observés dans le monde managérial en fonction de l’amplitude de la crise en trois temps : avant, durant et après une crise. Généralement, en temps de crise le goût pour le risque s’accentue au détriment de l’aversion à ce dernier. L’urgence de collaboration devient prioritaire et les organisations deviennent informellement agiles. Alors, pourquoi ne pas profiter de ces moments de tempête pour bouleverser les méthodes de travail et tendre vers d’autres qui sont plus efficaces et génératrices de valeur ajoutée pour le service public ?

L’émergence de l’agilité au moment de la crise

Les organisations du secteur public ont montré qu’elles peuvent faire preuve d’agilité en cas de crise. La crise sanitaire en est un bon exemple. Se concentrer sur cette agilité est donc une vraie piste de solution pour suivre le rythme de l’évolution des besoins pendant les défis et au-delà.

Le passage à l’agilité dans le secteur public : freins et leviers 

Nous avons pu identifier les différents types de problématiques à traiter avant de décider de se lancer ou non, dans une méthodologie de conduite de projet en mode agile. Les conclusions qui suivent sont tirées d’un travail de recherche mené par meja sur la base de :

  • Recherches et documentation,
  • Notre expertise en matière d’accompagnement de différentes structures publiques,
  • Des retours d’expérience recueillis auprès de nos clients pour la rédaction de cet article. Ces derniers ont été réalisés auprès de clients de natures variées, et qui ont chacun une expérience différente de la méthode agile et du contexte dans lequel elle a été mise en œuvre. Une partie de ceux-ci se positionnait en tant que maître d’ouvrage (MOA). Généralement ce sont les DSI en collaboration avec les directions métiers concernées, réunies autour de gros chantiers de transformations numériques, qui ont été interrogées. D’autres interviennent sur un périmètre plus restreint mais avec des exigences métiers de pointe.

Nos clients ont exposé principalement trois types de difficultés lors de la mise en œuvre du mode agile :

  • Freins organisationnels et humains : les projets en mode agile nécessitent une organisation fine des disponibilités des ressources humaines impliquées en interne. En effet, la méthode agile, du fait de la fréquence élevée des livraisons qu’elle implique, demande une mobilisation forte des équipes et un rythme de travail soutenu. Il faut donc pouvoir réunir une équipe motivée et disponible afin de faire face au rythme induit par cette méthode.
  • Freins culturels : pour pouvoir gérer un projet à l’aide d’une approche agile, l’équipe projet doit tout d’abord adopter un état d’esprit agile, ce qui n’est pas toujours évident à concrétiser. Les équipes sont habituées à travailler selon des modèles et des standards fixes, et le basculement vers une approche agile pourrait engendrer des résistances face aux changements profonds de ces méthodes de travail. La cheffe de projet interrogée a estimé que l’adoption du mode agile nécessite une grande préparation en amont : « La méthode agile est très éprouvante au début surtout d’un point de vue technique, cependant, une fois maitrisée, le travail d’équipe devient le mot d’ordre de la méthodologie, dans le sens où les collaborateurs se sentent plus engagés et responsabilisés. Il existe un vrai sentiment d’avancement palpable en matière de projet ». De plus, elle estime que « la méthode est prometteuse, au sein de son périmètre, elle commence à intéresser pas mal de personnes, tout le monde, en fonction de son périmètre se sente capable de se projeter sur les différentes facettes du projet en ayant une vue d’ensemble sur ce qui a été fait, en train de se faire et ce qui est à venir ». Notre client a également souligné l’importance de cultiver une relation positive et saine avec le prestataire externe ; l’opposition client-prestataire est fortement contreproductive le moment où elle devient non justifiée et boiteuse.  
  • Freins techniques et outils de la méthode agile : un de nos clients s’est impliqué dans un projet où l’initiation à la méthode agile a été réalisée par un prestataire externe spécialisé. Ce dernier a bien présenté la méthode et les différents attendus. Cependant, le paramétrage et le calibrage de l’outil lors de son lancement n’ont pas été suffisamment approfondis et bénéficié de l’attention méritée. Ce qui n’a donc pas permis de bénéficier d’indicateurs de pilotage (exemples : indicateurs de rédaction des « users stories » ou des indicateurs liés à la priorisation des « users stories », etc.) opérationnels et adaptés. Ce qui a engendré des travaux lourds et additionnels d’ajustement des outils, déviant ainsi les équipes des problématiques métiers et projets qui leurs étaient prioritaires.

Les avantages de la méthode agile

Tous nos clients interrogés soulèvent le même point : l’adoption du mode agile permet de substituer la lourdeur des projets en cycle V où beaucoup d’échanges se font avec les utilisateurs avant de développer le logiciel et sans forcément bien comprendre le besoin. Au contraire, l’agilité permet d’échanger au fur et à mesure avec les équipes métiers, qui voient les premières briques de la solution envisagée se développer et qui ajustent leur besoin fonctionnel en conséquence. La méthode agile est très dynamique et bien appréciée par les participants au projet, notamment les utilisateurs finaux.

En somme, avant de se lancer dans le mode agile, il est très important de s’interroger sur l’étendue de son périmètre, notamment en matière de processus, des équipes impliquées, et des aspects organisationnels. L’agilité est certes une approche disruptive, toutefois, si elle n’est pas accompagnée par une acculturation spécifique, une appropriation du jargon technique associé, et d’une maitrise adéquate de ses outils d’application, elle risque de ne pas générer la valeur ajoutée attendue.

L’approche agile devrait également être perçue comme un moyen permettant d’avoir constamment une vue d’ensemble sur l’état d’avancement des projets, ce qui devient très utile, tant pour l’équipe que pour les directions concernées. Pour qu’elle soit efficace et acceptée par les agents, l’agilité devrait être considérée comme un processus d’apprentissage, dans lequel l’équipe monte en compétence et participe activement à l’achèvement des objectifs escomptés.

Synthèse des freins et des motivations au passage à la méthode Agile

L’approche agile demande une rigueur importante et sa déclinaison sur les projets semble un exploit très intéressant, permettant ainsi d’être en lien permanent avec les métiers, de renforcer l’esprit d’équipe et de mobiliser d’une manière optimale les ressources.

La diffusion de la méthodologie agile au sein du secteur public nécessite un langage commun, une ouverture d’esprit et la volonté de faire preuve de souplesse dans le choix de la gamme d’outils disponibles sur le marché, appropriée à leur projet et à leur culture organisationnelle qui permettra d’obtenir les résultats souhaités.

L’approche agile ne se résume pas seulement dans le choix d’un outil de recettage ou de spécification, elle devrait être conçue dans un contexte plus large, comprenant de nombreuses parties prenantes aux besoins divers, notamment les usagers, les agents, les organisations du secteur privé, dans l’optique de fournir un service public de qualité destiné à une société et une économie postpandémique en forte mutation.

Cet article a été réalisé à partir de notre expérience auprès d’acteurs du secteur public. Retrouvez nos références ici.